
Sur la bonne voie : Des outils pour accéder au travail décent en Afrique de l’Ouest
Il y a des rencontres qui peuvent changer une vie.
Pour les jeunes gens sur le point d’entrer sur le marché du travail, ces moments charnières peuvent prendre la forme de conseils avisés de la part de conseillers de l’orientation scolaire et professionnelle.
En Afrique de l’Ouest, ces professionnels sillonnent le Burkina Faso et le Togo pour aider étudiants et chômeurs à dessiner leur futur.
Et ceci n’est pas une tâche facile: les jeunes gens qu’ils guident font face à des statistiques peu rassurantes. Après avoir terminé ses études, un Togolais met, en moyenne, 35 mois pour trouver un premier emploi – la plupart du temps par bouche-à-oreille. Selon certaines statistiques, près de 63% des Togolais sont employés dans le secteur informel, souvent avec de pauvres conditions de travail. Et une large proportion de la population fait face au chômage, qui n’épargne pas les diplômés de l’université.
Pour bon nombre de jeunes d’Afrique de l’Ouest confrontés à ce contexte économique difficile, la seule chance d’avoir un travail, en particulier décent, est de le créer eux-mêmes. Inspirés par le succès de nombreux auto-entrepreneurs, de plus en plus d’étudiants et de chômeurs veulent prendre leur avenir en main.
Et pourtant, les ressources manquent pour les professionnels appelés à guider les jeunes gens sur cette voie. Selon Kokou Atitsogbe, chercheur à l’université de Lausanne, une orientation professionnelle basée sur des principes psychologiques peut épauler les jeunes entrepreneurs dans leurs décisions. « Ils [les conseillers d’orientation] n’ont pas la formation nécessaire pour cela», il explique.
“Former les jeunes à l’entreprenariat apermettra d’accéder à un emploi décent”
Abdoulaye Ouedraogo, Université Joseph Ki-Zerbo
Pour répondre à ces besoins, Atitsogbe est impliqué dans une série d’initiatives qui résultent d’une collaboration entre les universités de Lausanne en Suisse, de Lomé au Togo et deux institutions au Burkina Faso – les universités Joseph Ki-Zerbo et Norbert Zongo. Le but est d’équiper les conseillers d’orientation avec les outils nécessaires pour mieux guider les futures générations d’employés Togolais et Burkinabés.
«Former les jeunes à l’entreprenariat leur permettra d’être leur propre patron, et d’accéder à un emploi décent» explique Abdoulaye Ouedraogo, un enseignant-chercheur à l’université Joseph Ki-Zerbo de Ouagadougou au Burkina Faso qui participe au projet.
Les bons outils font les bons conseillers
«Ce qui se fait en général, explique Atitsogbe, c’est d’importer des ressources développées dans les pays occidentaux. Et nous essayons de promouvoir une nouvelle approche.»
Les ressources et outils d’évaluation psychologiques qui émergent de la recherche occidentale peinent à être utiles à l’étranger. Les circonstances sont bien trop spécifiques à chaque pays: par exemple, les obstacles qu’un jeune entrant sur le marché du travail doit surmonter (en termes d’opportunités d’emploi et d’accès aux formations) diffèrent de manière frappante entre Suisse et Togo.
Les ressources d’orientation ne capturent pas forcément les réalités de chaque environnement, recommandant des carrières qui n’existent pas en dehors d’un contexte occidental, et ignorant certaines professions prometteuses en Afrique. Le manque est d’autant plus criant en ce qui concerne l’entreprenariat. Le mode de travail même des conseillers diffère – classe entière en Afrique de l’Ouest, tête-à-tête en Occident – et les outils doivent être repensés pour ces approches différentes.
Atitsogbe et ses collègues sont en train de développer et de valider des outils d’orientation adaptés au contexte local. Ce travail s’intègre dans un projet lancé en 2018 et financé par le programme de recherche r4d, une initiative qui rassemblela Direction du développement et de la coopération (DDC) et le Fonds national suisse (FNS). Son but est de mieux comprendre et donc d’améliorer l’orientation scolaire et professionnelle pour faciliter l’accès au travail décent en Afrique de l’Ouest.
Cette nouvelle phase de recherche se penche sur les conseillers d’orientation, avec pour projet de les équiper de nouvelles ressources plus à même d’aider les jeunes à accéder un emploi décent, en particulier par l’entreprenariat. Ce projet est mené par Atitsogbe et Ouedraogo ainsi que Jérôme Rossier, professeur de psychologie à l’université de Lausanne, Issa Moumoula de l’université Norbert Zongo au Burkina Faso, et Paboussoum Pari de l’université de Lomé au Togo.

Photo 1 : Une jeune femme travaillant comme agent de vente dans un magasin de pièces détachées pour voitures à Koudougou, Burkina Faso. Crédit : Dr. Saiba Bakouan
L’équipe a déjà révélé que les conseillers d’orientation peuvent jouer un rôle clé dans la réduction du chômage et l’accès à un travail décent – ce qui est, depuis 2015, un des objectifs de l’agenda 2030 du développement durable proposé par les Nations Unies.Les chercheurs ont aussi exploré comment les populations Togolaises et Burkinabés conçoivent ce qu’est un travail décent: un emploi qui permet d’avoir du pain sur la table et de payer l’école des enfants, qui préserve la dignité du travailleur, et qui est béni par Dieu.
Les outils sont créés et validés en se basant sur des données collectées directement auprès des services de conseils d’orientation dans les deux pays. Cette méthodologie ascendante (ou bottom-up) permet d’ancrer les ressources dans le contexte local, ce qui en fait, selon Atitsogbe,«un facteur majeur de succès.»

Photo 2 : L’équipe du projet r4d lors d’une réunion de lancement à l’Université de Lomé, Lomé, Togo, octobre 2018. Crédit : équipe r4d
Former les agents du changement
La prochaine étape consiste à déployer ces ressources – une brochure permettant aux étudiants de faire leur choix de carrière, des outils d’évaluation des obstacles à l’emploi après l’université – auprès des conseillers du Burkina Faso et du Togo.
La majorité d’entre eux pourront se familiariser avec ces nouveaux outils à travers une formation qui se tiendra à l’université de Lomé en janvier 2022. «Cette formation sera développée par des partenaires locaux, pour des praticiens locaux» explique Rossier.
L’équipe doit aussi faire face à des problèmes logistiques. «Un autre élément contextuel à prendre en compte est l’éloignement des localités dans lesquelles travaillent les conseillers», explique Ouedraogo.
Ceux qui feront le trajet jusqu’à Lomé pour la formation retourneront chez eux prêts à utiliser les ressources, mais aussi à les diffuser auprès de leurs collègues. De cette manière, la portée du programme pourra être étendue jusqu’aux zones plus rurales. Et les conseillers pourraient ne représenter que la première étape: «Nous pensons à peut-être inviter les professionnels qui travaillent dans les agences d’emploi, ainsi que dans les associations et institutions actives dans ce domaine» révèle Rossier.

Photo 3 : Un employé de bureau à l’Université de Lomé. Crédit : Dr. Adzéoda Holu
En parallèle, l’équipe recense les différentes formations à l’entreprenariat au Burkina Faso et au Togo, afin de regrouper cette information sur une plateforme en ligne. Selon Ouedraogo, ce site internet bénéficiera à «toute personne intéressée par l’entreprenariat qui veut se familiariser avec ce qui est à leur disposition.» Chaque ‘entrepreneur en germe’ pourra consulter la plateforme pour se renseigner sur les différents programmes offerts dans son pays, ce qu’ils couvrent, et comment y accéder. Les conseillers d’orientation y trouveront également des ressources, comme des vidéos de formation.
Réactions en chaîne
L’équipe sait bien que le dévouement et la bonne volonté des professionnels de terrain n’est souvent pas suffisante pour créer un vent de changement. «La première étape a été d’expliquer le projet aux responsables universitaires en charge», se souvient Ouedraogo. Les chercheurs visent à étendre leur influence au-delà de l’université à travers des contacts avec les ministères de l’entreprenariat, de la jeunesse, et de l’orientation et de l’emploi. Ils espèrent pouvoir guider les programmes gouvernementaux en tenant les politiciens informés des progrès de l’initiative. «Nous avons parlé aux décideurs politiques et ils se sont montrés enthousiastes, mais il est difficile de savoir s’ils useront de nos idées au long terme» explique Rossier.
“Cette formation sera apar des partenaires locaux, pour des praticiens locaux.”
Jérôme Rossier, Université de Lausanne
Néanmoins, des signes encourageants sont déjà présents, en Afrique de l’Ouest et ailleurs. «Certains pays mettent en place des programmes gouvernementaux pour aider les jeunes à devenir entrepreneurs» explique Atitsogbe. Les institutions politiques et internationales sont de plus en plus amenées à promouvoir l’entreprenariat comme solution au chômage.
Au-delà de développer des ressources pratiques pour l’orientation, le projet s’inclut dans une démarche qui vise à explorer comment les citoyens Burkinabés ou Togolais perçoivent leur relation au travail décent. Les concepts de psychologie du travail, qui n’avaient pas été testés en Afrique sub-saharienne jusqu’à présent, soulignent combien il est important de développer les ressources mentales des jeunes gens, en particulier leur sens de l’autonomie et leur libre arbitre quand il s’agit de prendre des décisions professionnelles en toutes circonstances. « Ces ressources psychologiques augmentent leur chance d’accéder à un travail décent, explique Atitsogbe,et avoir un travail décent est clé pour le bien-être et l’épanouissement professionnel.»
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Sources
Pour aller plus loin:
Travail Décent: Burkina Faso et Togo
Transformation Accelerating Initiative:
Adapter et renforcer l’orientation scolaire et l’orientation professionnelle pour promouvoir le travail décent dans deux pays d’Afrique de l’Ouest: le Burkina Faso et le Togo
Crédit photo couverture:
Dr. Abdoulaye Ouedraogo
A propos des auteures:
Anita Makri est une journaliste indépendante, productrice et conseillère éditoriale basée à Londres. Elsa Loissel est une rédactrice basée à Cambridge.
Produit by:
Anita Makri et Elsa Loissel. Traduction par Magali Reinert (entretien) et Elsa Loissel (article).